Un article très spécial aujourd’hui sur le blog : Le 13 novembre dernier, je me suis entretenue avec l’auteur français Jean Laurent del Socorro, qui a gentiment accepté d’être interviewé !
Je connais cet auteur de par ses livres, mais également car j’ai travaillé avec le Club de Lecture sur Morgane Pendragon, sa réécriture de la légende arthurienne.
Même si lire en FLE n’est pas toujours simple, dans mes cours de français, on travaille beaucoup avec la littérature, car la culture et la langue sont deux parties d’un même tout. J’ai donc pensé qu’il serait super intéressant, aussi bien pour mes élèves que pour les autres profs, de lire cette interview. On y parle écriture évidemment, mais aussi linguistique, inclusivité, liens entre l’Histoire et la fiction, et légende arthurienne !
I – L’auteur et ses inspirations
Une question qu’on doit souvent vous poser, mais qu’est-ce qui vous a donné envie d’être écrivain ?
C’est un peu un hasard, j’avais surtout des velléités de lecteur. J’ai eu une expérience artistique via le théâtre, j’étais rapidement metteur en scène et comédien mais ça a duré très peu de temps, c’était plutôt une formation pour moi et pas professionnelle.
Et puis pendant des années j’étais surtout un lecteur, de tout et notamment de fantasy et de science fiction; et puis j’ai eu l’opportunité d’écrire une nouvelle qui a été publiée. À partir de là, pour faire un roman j’ai pris du temps, mis en place tout ce qu’il fallait pour écrire et au bout de six mois j’avais un roman qui était terminé, Royaume de Vent et de Colère qui a été publié six mois plus tard. Donc c’est allé assez vite en fait.
Pourquoi ce genre de fantasy historique ?
Je suis fan d’Histoire, même si je ne suis pas du tout spécialiste ni formé à l’Histoire. J’avais envie de me rattacher à l’imaginaire donc il y a toujours une pointe de fantastique dans mes récits. Je m’amuse souvent à dire que je fais de l’historique fantasy ! On est sur des romans historiques, et il y a des éléments inexpliqués ou inexplicables, mais qui en fait ne touchent pas l’Histoire. Les rares fois où je touche l’Histoire, je le précise à la fin du texte.
Il y a une exception, Morgane Pendragon qui est vraiment un récit de fantasy. Il y a un cadre historique mais c’est un décor, on est vraiment dans la fantasy pure et dure avec la légende Arthurienne.
D’ailleurs dans ce roman là, on retrouve, je trouve, l’esprit de la légende.
C’est compliqué la légende arthurienne, car c’est une espèce de fantasme. Même historiquement, on essaie de la placer, mais ça marche pas. Moi, je la replace au début du VIIe, il y a un intérêt à mon avis qui est l’arrivée de la religion qui permet de la confronter à la légende. Mais par exemple dans les visuels, il y a plein de visuels du VIIe siècle mais où ils font des duels, qui n’existent pas à l’époque. Le principe de chevalier n’est pas vraiment installé non plus à ce moment-là, donc c’est compliqué et on se rend compte que la légende est une couche de fantasmes. Chaque réécriture est un fantasme qui se rajoute par dessus.
C’est ce qui fait aussi quelque part le charme de la légende !
Et que tout le monde s’en empare, je pense ! Il y a forcément un lien sur lequel on peut se raccrocher en fait.
Et ce que j’avais aimé aussi dans votre roman, c’est votre manière de représenter les personnages, notamment Merlin qui n’est pas un gentil.
Oui, il y avait deux choses. La première, c’est exactement ça, c’est à dire que quand on parle de Merlin et qu’on met les faits : il organise un viol. Il faut dire les choses.
Et d’ailleurs, j’ai beaucoup écrit sur les guerres de religion, et du coup Merlin dans mon roman a pour le coup une dimension historique : à la fin de la Reconquista espagnole quand tout le monde est converti à la religion catholique, les chefs d’autres religions ne sont pas exilés, ils sont convertis et s’alignent à la religion en place. Avec Merlin, c’est pareil, il sent que le vent tourne et prépare ses arrières. Ce serait d’ailleurs intéressant d’avoir une version qui va à fond dans ce sens là !
Et quelque chose qui m’a surpris, c’est qu’au XXIe siècle il n’y ait pas de versions télévisuelles ou autres avec des chevalières, pas une seule mais beaucoup, qu’on les invente ou qu’on féminise des personnages.
C’est vrai qu’on ne trouve pas beaucoup de personnages féminins. Et même dans les personnages existants, par exemple Morgane, on retrouve rarement ses liens avec la religion païenne. Elle représentait au départ cette religion, puis a été diabolisée en tant que personnage en même temps que le christianisme s’est installé, et aujourd’hui elle est souvent ambiguë, voire un peu réhabilitée.
Oui, il y a une réappropriation du thème de sorcière, même socialement. Ça lui fait du bien au personnage. D’ailleurs c’était une grosse question dans mon texte, sur comment aborder ça : son élément c’est la magie, et l’appartenance de cette magie a une certaine culture celtique déjà en place. Elle défend sa religion comme une croyante un peu active, et c’est souvent réduit à l’aspect magique alors que ça va bien au-delà.
Quelles sont vos sources d’inspirations, à quel moment vous trouvez vos idées de romans ?
Comme j’ai toujours une source au départ, c’est “plus facile” pour moi, c’est “Quel schéma historique je prends ?”. Je ne vais plus chez l’éditeur avec un livre, mais avec un cycle. Par exemple, Morgane Pendragon est le début d’un travail qui est de dire qu’il y a trois cycles celtiques que je veux réécrire. Morgane c’est le premier, “la légende et l’histoire cohabitent, et ça se passe mal”. Le deuxième qui sort en mars 2025, Les Amants du Ragnarök, c’est “la fin du mythe”. Et il y en aura un troisième qui sera “le mythe est oublié, qu’est-ce qu’on en fait ?”.
Il y aura des échos entre eux mais les textes sont indépendants.
II – La Linguistique
Forcément, en tant que prof de FLE, j’accorde beaucoup d’importance aux mots, aux structures etc . Est-ce que c’est quelque chose sur lequel vous passez beaucoup de temps ?
Dans la relecture, il y a un premier travail qui est celui de la répétition. Quand j’écris pour la petite jeunesse, je travaille aussi beaucoup les sons (allitérations, etc.) parce que je trouve que c’est plus facile, je veux que ce soit rythmé.
Un élément qui est important pour moi, c’est comment on travaille l’inclusivité d’un texte, ce qui est très dur : comment on arrive à avoir un style et à l’alimenter. Dans Morgane Pendragon, souvent je double (chevalières et chevaliers), et j’accorde avec la proximité. Comme je commence par le féminin, j’accorde au masculin, ce qui permet de ne heurter personne. Pareil d’ailleurs pour le choix du mot chevalière et non chevaleresse, ça a été tout un réglage, qui s’est fait assez rapidement, mais auquel j’ai réfléchi.
Il y a une autre chose qui est emblématique, c’est les titres. Dans le cycle pour l’École des Loisirs (maison d’édition, NDLR), le premier s’appelle Une pour toutes, c’est évidemment une féminisation de la réplique « Un pour tous » tirée des Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas. Le second s’appelle Vainqueuse parce qu’il y a une réhabilitation du mot et en plus on parle d’une femme qui gagne donc on ne peut pas avoir un mot plus précis que ça, et le troisième sur les femmes pirates s’appellera Soeurs de la côte, donc on féminine pour réapproprier l’expression Frères de la côte.
C’est pas une forme de militantisme mais un peu, on se réapproprie quelque chose.
Donc voilà, c’est ça : comment on se réapproprie les termes et comment être inclusif sans casser un rythme, parce qu’il peut y avoir des lourdeurs. Et puis on est obligés de ne pas pouvoir utiliser certaines choses. Je pense que ‘iel’, on peut l’utiliser de plus en plus, mais on peut pas utiliser le point médian par exemple sans avoir une levée de boucliers. Donc aujourd’hui, on ne peut pas utiliser tous les outils de la francophonie. Je pense que dans trente ans ça aura changé, mais aujourd’hui on doit jouer avec. Ce sont vraiment des enjeux importants.
III – Histoire et Pop Culture
Est-ce que vous pensez que c’est possible de parler de l’Histoire à travers la pop culture ?
En fait, l’Histoire il faut la décomplexer. Il y a toujours un point de vue, un angle, des biais contemporains. L’historique est une matière. Le plus important, c’est de savoir ce qu’on cherche comme niveau d’historicité et ne pas se trahir, et surtout ne pas trahir son lectorat. C’est pour ça que maintenant à la fin de mes romans, je fais une note au lecteur où je dis la vérité, par exemple que j’ai changé la date d’un incendie.
On peut avoir le contexte historique (les dates par exemple), quand on touche au quotidien il y a des choses qui bougent mais on peut avoir les bons termes, mais quand on parle des gens, il faut être très humble, on ne peut pas imaginer ce qu’ils vivent. Moi je fais parler les gens avec un aspect très contemporain, et mes personnages ont des problématiques contemporaines.
Donc bien sûr qu’on peut mettre de la pop culture, il n’y a aucun problème du moment qu’on ne trompe pas son public. Surtout, ce qui est intéressant c’est que ça permet de faire entrer un public qui n’en a pas l’habitude.
IV – Les livres et le FLE
Donc dernier sujet, est-ce que vous étiez au courant que vos écrits pouvaient être utilisés dans des cours de FLE et/ou lus par des lecteurs qui ne sont pas francophones natifs ?
Alors je ne savais pas du tout ! Pour moi c’est une belle reconnaissance, par rapport à l’œuvre plus qu’à moi.
Je n’ai pas de formation littéraire donc revendiquer cette écriture littéraire, c’est un peu une forme de consécration, c’ets dire qu’il y a quelque chose dans mon écriture qui vaut le coup qu’on s’y intéresse. Surtout que ce n’est pas rien d’utiliser un texte, le choix d’un support est essentiel.
D’ailleurs je réfléchis beaucoup à l’accessibilité. À une époque j’avais publié des nouvelles gratuites pour les scolaires en France.
Pour Vainqueuse, le prologue est une vraie nouvelle, et j’ai demandé à l’éditeur de le mettre en entier en téléchargement pour que les profs puissent le télécharger. Ça permet d’offrir des supports et un extrait facilement accessible, et qui a un sens, que ce ne soit pas juste un extrait.
Un mot de la fin pour les lecteurs du blog ?
Peut-être ça, justement : que les gens sachent qu’il y a quelques uns de mes textes disponibles gratuitement :
– une novella complète publiée chez Albin Michel Imaginaire “Noir est le sceau de l’enfer”
– Le prologue de Vainqueuse qui est une nouvelle complète
J’ai aussi traduit un pamphlet féministe du XVIIe d’une autrice anglaise, Jane Anger. Il est disponible gratuitement sur le site des éditions Argyll. Ça permet de voir mon lien avec l’Histoire, je voulais rendre accessible cette source en langue française. Ça fait partie aussi de la démarche, car je sais que c’est galère quand il n’y a que des sources en anglais.
Et voilà pour cette rencontre avec Jean Laurent Del Socorro ! J’espère que cet article un peu particulier sur le lien entre le cours de français et les auteurs vous aura plu. Je vous invite fortement à aller voir les écrits de Jean-Laurent et à découvrir son univers plus en détail. Vous pouvez le retrouver sur Instagram.
Et si vous voulez intégrer la culture et la linguistique à votre pratique du français, je propose à la fois des cours particuliers et clubs de lecture pour les élèves, mais aussi des ressources pour les profs (dont des box de ressources thématiques, la première sur les sorcières d’ailleurs – et la prochaine sur la légende arthurienne, ça tombe bien !).
Et vous, vous faites quoi pour lire en FLE ? Quels sont vos livres préférés pour pratiquer le français ?